Annie GILBERT

vue par Guy BUGEAU

…On rencontre parfois des peintres qui doutent des fruits délicieux dont sont pourtant remplis leurs vergers ; on aimerait les surprendre au ventre secret de leur atelier, dans ces instants où le courage et la ténacité finissent par leur entrouvrir les portes de la grâce. Il est aussi, assez proches de ces derniers, des femmes et des hommes qui, à force de peindre comme ils respirent, chantent, parlent, observent, ou même se taisent, se surprennent un beau jour à mériter le nom de « peintre ». Une manière à eux d’atteindre l’Eveil et de se sentir instantanément reconnus, non pas tant par leurs pairs ou admirateurs que par un regard anonyme qui les illumine du dedans.

Annie Gilbert est de ceux-là. Longuement familiarisée à la magie des lignes, au jeu infini et éprouvant des matières, elle a d’abord pris soin de vérifier la justesse de ses intuitions et de ses propres découvertes auprès d’un public de jeunes et d’adultes par le biais d’ateliers de dessin et de peinture dont elle assurait la conduite. Aujourd’hui, dégagée de cette tâche pédagogique, et après s’être enrichie de contacts divers, elle entre véritablement et délibérément en peinture, comme d’autres abordent, émus, au pays de leur rêve après s’être offert enfin le voyage tant attendu.

Et de voyage, précisément, il en est constamment question dans les toiles d’Annie Gilbert, qu’il s’agisse de l’éden d’une enfance retrouvée avec ferveur ou de la magnificence ordinaire des lumières de l’Inde et du Maroc, qui sont une bonne part de son oxygène d’artiste. Il n’est donc pas étonnant que ses tableaux apparaissent souvent comme des coups d’œil tombés par la vitre d’un train ou échappés au hasard d’une douce promenade.

Poétiquement, on pourrait écrire qu’elle cherche, par la peinture, à dire le cœur fidèle dans la passée des jours, ou encore qu’elle peint comme on murmure à l’oreille de ceux qu’on aime. Le tout d’une main légère, qu’une exigence profonde éloigne des effets faciles, invitant sur sa palette une floraison de bleus, d’ocres ou de saumons pour ses marines ou scènes exotiques, à moins qu’elle ne préfère décliner une gamme tout aussi douce mais plus élargie pour ses figures. Notre œil est surpris parfois lorsque s’en viennent exploser, aux avant-plans d’une toile, des fulgurances chromatiques inattendues ; mais qui reprocherait aux demeures baignées de paix et de silence de laisser soudain leurs baies éclater d’éblouissantes musiques, qui oserait interdire aux petites fées de nos enfances de danser en chantant sur la lande du souvenir dans un rayon d’insolente lumière ?

Annie Gilbert peint donc des paysages comme elle ouvrirait pour nous ses valises au retour d’un lointain voyage et les accroche, pareils à des carrés d’azur qu’elle laisserait grimper aux cimaises pour les y voir flotter au vent des paroles de passage. Elle éternise la vision instantanée d’un profil ou d’un corps de femme dans le miracle d’une pose arrachée à la fois au quotidien et à l’imaginaire ; on chercherait vainement dans cette oeuvre la trace d’une quelconque bataille ou de la moindre colère.

Chaque tableau est l’aboutissement d’une caresse infinie du pinceau sur la peau grenue de la toile au service de la confidence. Le jeu subtil de l’instrument, la délicatesse des glacis si propices à la naissance d’images-souvenirs, ne doivent pourtant pas masquer la variété des procédés déployés pour le rendu des textures. A l’œil attentif, à l’amateur véritable, qui savent venir dialoguer à bout portant pour entrer dans l’intimité de la matière, s’offre seulement la révélation.

Mais, plus encore qu’une récompense, la peinture de cette femme au regard habillé de souriante lumière nous arrive comme une promesse appuyée sur une maturité picturale en plein essor : celle d’un avenir ensoleillé aussi bien de couleurs que de messages de paix, de générosité et de tendresse. Gageons qu’Annie Gilbert, à cet âge où la femme encore jeune s’en vient donner la main à la petite fille qu’elle n’a jamais cessé d’être au plus profond d’elle-même, saura trouver les moyens de sa seule ambition : établir une passerelle entre la grâce et la force, le travail et la spontanéité, son oeuvre et son public. Qu’elle nous abreuve encore longtemps, pour notre propre éveil, de ces images-miroir où le temps prisonnier de l’espace factice du tableau se donne à voir sous son jour le plus émouvant, dans un parfum d’enfance aux tons de l’espérance.

Guy BUGEAU
Créateur et animateur de l’Atelier « Le Pré aux Fées »
Septembre 2003